vendredi 26 juin 2009

173. Johnny Okosun: "Fire in Soweto."

La photo, en noir et blanc, a fait le tour du monde, symbole de la brutalité du régime d'apartheid: Hector Pieterson, écolier abattu par la police le 16 juin 1976, première victime du soulèvement de Soweto, gît dans les bras d'un plus grand que lui, en larmes. 

Dans l'article précédent, nous avons défini le système de l'apartheid et l'arsenal juridique qui l'accompagne. La politique d'Apartheid entraîne une contestation intérieure importante. C'est particulièrement vrai après la nomination de Hendrick Frensch Verwoerd comme premier ministre en 1958. Toute tentative de remise en cause du statu quo est combattue avec violence par le pouvoir blanc, qui maintient, de fait, les populations noires dans la misère et la marginalité. Ces injustices contribuent ainsi à gonfler les rangs de l'ANC. L'African National Congress (créé en 1912) anime la lutte des Noirs depuis soixante ans, or l'organisation se renforce avec l'accession à sa tête d'une génération de jeunes gens déterminés au cours des années 1940, en particulier Oliver Tambo, Nelson Mandela, Walter Sisulu. Il opte pour une confrontation directe, mais non violente, avec l'adversaire. 

 Oliver Tambo et Nelson Mandela, en 1962. 

Ainsi en 1952, avec le South African Indian Congress (organisation populaire auprès des importantes populations indiennes du pays), l'ANC orchestre la Defiance Campaign against injust Laws. Ce mouvement de désobéissance civile fustige en particulier les Pass Laws. Ces lois interdisent les déplacements des non-Blancs à l'intérieur du pays (ils ne peuvent ainsi quitter les terres appartenant aux Blancs, et sur lesquelles beaucoup travaillent, pour émigrer vers les villes). Le mouvement se prolonge en 1953, mais il est rudement réprimé. En réaction, l'ANC organise en 1955, à Klipfontein près de Johannesburg, un "congrès du peuple", au cours duquel est adoptée la "Charte de la liberté", qui sert dès lors de plate-forme pour l'ANC. Cette charte repose sur quelques principes intangibles: - égalité raciale, - la démocratie, - nationalisation des grandes entreprises, - réformes agraires, - instauration d'un salaire minimum... L'influence de l'ANC inquiète bientôt les autorités qui durcissent la répression. Une série de procès intentés aux leaders du mouvement s'engage. Entre-temps, une scission se forme au sein de l'ANC. Un groupe dirigé par Robert Sobukwe s'inquiète de l'influence des "communistes" sur la politique du mouvement. Expulsé de l'ANC en 1958, il fonde le Pan-Africanist Congress (PAC), favorable au nationalisme africain.  

En 1960, le gouvernement prépare un référendum sur la transformation du pays en République et sur la sortie du Commonwealth. L'ANC et le PAC, taisent alors leurs différences, pour organiser d'importantes manifestations pour obtenir la suppression des Pass Laws et des augmentations de salaires. Le 21 mars, alors que 300 000 Africains se dirigent vers le Parlement du Cap, la police ouvre le feu et abat 69 habitants de Sharpeville. Le mouvement de contestation prend une ampleur colossale. Les autorités décident alors d'interdire l'ANC et le PAC. Pour la première fois, la communauté internationale sort de son apathie et condamne le massacre de Sharpeville. 

 Les leaders de l'ANC, contraints à opérer dans la clandestinité, tirent les enseignements du drame et abandonnent la résistance passive pour la lutte armée. En 1962, la police arrête une partie de la direction clandestine de l'ANC, notamment Nelson Mandela, qui fait désormais figure de dirigeant de l'organisation. Le procès de Rivonia, en 1964, condamne Mandela et 7 autres co-accusés à perpétuité dans la prison de Robben Island, au large du Cap. Les partisans de l'ANC et du PAC qui sont parvenus à passer entre les mailles du filet s'exilent dans les pays limitrophes, notamment en Zambie, en Tanzanie. L'éloignement limite leur influence sur le plan local. En éliminant la direction de ces organisations, les autorités s'assurent une relative tranquillité pour une dizaine d'années, même si, tout au long de cette période des militants sont constamment arrêtés puis incarcérés sans procès. En 1966, le premier ministre Hendrik Verwoerd se fait poignarder par un huissier au Parlement. B. J. Vorster lui succède et continue de bâillonner toute forme d'opposition. A partir des années 1970, le gouvernement décide d'accélérer le processus d'"indépendance" des bantoustans. L'objectif est de priver tous leurs habitants de leur citoyenneté sud-africaine. Steve Biko. 

L'annonce que l'afrikaans devient obligatoire dans les écoles suscite une immense colère dans les townships. Soweto s'embrase le 16 juin 1976. En réalité, les causes de ces révoltes sont bien plus profondes. Le Mouvement de la conscience noire animé par Steve Biko semble l'instigateur de cette explosion de colère. Pendant 18 mois, , les lieux publics sont incendiés, les voitures brûlées, les commerces pillés. De proche en proche, la fièvre gagne bientôt les quartiers résidentiels métis et indiens. Une terrible répression s'abat alors sur le pays. Les services de sûreté arrête Steve Biko le 18 août 1977. Il mourra 26 jours plus tard des suites des blessures qui lui sont faites lors de son interrogatoire (voir le bel article de Richard Tribouilloy sur ce blog).

  

Cette répression policière dans les townships révoltés aura néanmoins de fortes répercussions. Elle frappe le monde entier avec des clichés qui font le tour du monde. On relève entre 600 et 1000 morts. L'opinion internationale prend enfin véritablement conscience de la nature du régime. De jeunes militants fuient le pays et rejoignent les rangs de l'ANC en exil, ce qui contribue à galvaniser le mouvement après l'atonie de la décennie précédente. L'organisation, désormais dirigée par Oliver Tambo, multiplie les attaques sur le front militaire et les sabotages d'installations stratégiques. Surtout, elle parvient enfin à obtenir des relais au sein de la communauté internationale qui prend des mesures fortes (sanctions économiques, embargo sur les armes, boycotts des rencontres culturelles et sportives). Le 21 juin 1976, des émeutiers utilisent des voitures en guise de barricade ( Keystone/Getty Images). 

A l'intérieur du pays, l'opposition noire réapparaît progressivement. Bien qu'interdits, les syndicats deviennent très puissants à l'instar du Congress of South African Trade Unions (COSATU). En soutien, les leaders religieux tels qu'Allan Boesak ou l'archevêque anglican Desmond Tutu (prix Nobel de la paix 1984) prennent la parole au nom des noirs et se font l'écho de leurs aspirations. En 1985, une fédération de mouvements anti-apartheid, proches de l'ANC, forme l'United Democratic Front.

  

Incontestablement à partir des années 1980, si la situation s'est décantée dans le reste de l'Afrique australe, le régime de l'apartheid, bien que fragilisé, semble encore solide. 

 Les émeutes réprimées dans le sang par Pretoria ne laissent pas indifférents les artistes, comme le prouvent les nombreuses chansons ayant pour thème ces révoltes. Miriam Makeba consacre ainsi l'émouvant Soweto blues aux conditions d'existence sordides dans les townships. Johnny Okosun décrit les émeutes dans son efficace Fire in Soweto (dès 1977). Enfin, le Gabonais Pierre Akendengue consacre une très belle chanson aux "combattants de la liberté". Il y fait notamment référence aux révoltes qui embrasent Soweto en 1976, mais revient aussi sur le massacre de Sharpeville, en 1960. 

Pochette du disque "Fire in Soweto" de Johnny Okosun, reggaeman nigérian.

  "Salut aux combattants de la liberté". Pierre Akendengue (1987). 

Salut à vous héros de la première heure combattants de la liberté / salut à toi Salomon Mahlangu (...) / Pretoria juin 1976 / Pretoria juin 1983 / histoire sanglant écrite avec la chair du peuple déchiré déchiré / par les années d'oppression, / par les années d'humiliation, / par les années de lutte lutte pour défendre notre terre / terre nourrissante, / terre sanglotante, terre berceuse des jours sans nuits, / des nuits convulsives ruisselantes de sang / le sang de tes fils tombés sur les champs de bataille / têtes chercheuses de liberté et de dignité /  Sharpeville 1960 Soweto juin 1976 l'aube crache la fumée un gamin debout sur le portail "maman, j'ai faim, maman pourquoi tu pleures? maman où est parti Jerry? maman où est parti Marcus?" Silence, silence, encore silence "maman, des blancs, des fusils, des blancs avec des fusils" silence "regarde mon fusil maman" silence, silence, encore silence salut à toi combattant de demain salut à toi mère en larmes salut à vous combattants de la liberté il n'y a plus de champ de bataille le champ de bataille est partout car le front est là où est l'ennemi.  

Sources: 

 - "Afrique du Sud", Bibliothèque du voyageur, Gallimard, 2006.  

- L'Histoire n° 306. Fr. X. Fauvelle-Aymar: "Et l'Afrique du sud inventa l'Apartheid", février 2006. 

- E. Melmoux et D. Mitzinmacker: "Dictionnaire d'histoire contemporaine", Nathan, 2008. - L'Afrique enchantée.  

Liens:  

- "Soweto 1976: an audio history: NPR.

- Les archives de radio Canada consacrées à l'apartheid. 

- Histoire d'une des photos les plus célèbres au monde. 

- Le site de Pierre Akendengue.

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