vendredi 27 mars 2009

150. MC5: "Motor city is burning".


Detroit en flamme lors des émeutes de 1967.

Les émeutes du quartier noir du Watts, à Los Angeles, marquent le coup d'envoi d'une série de violences particulièrement meurtrières dans nombre les grandes métropoles nord-américaines au cours des étés, de 1965 à 1968.

A Watts, à la suite d'un contrôle policier qui dérape, le ghetto s'enflamme. Les pillages durent six jours. De nombreux incendies embrasent le quartier, tandis que les forces de police reçoivent briques et cocktails molotov. Le calme ne revint que grâce à l'envoi de 14 000 gardes nationaux. Le bilan fut très lourd: 34 morts, 900 blessés, 4000 arrestations et 30 millions de dégâts matériels.

En 1966, Chicago, Cleveland, San Francisco sont le théâtre d'émeutes raciales similaires qui provoquèrent le décès de 7 personnes et plus de 400 blessés. Pourtant, l'été le plus "chaud" et le plus meurtrier reste sans doute celui de 1967. Très peu de grandes villes furent alors épargnées par ces violences. A Newark, dans le New Jersey, où le pourcentage de chômeurs chez les Noirs atteignait des records, il y eut plus de 20 morts.

* Juillet 1967: Detroit s'embrase.

Mais nous allons ici nous arrêter sur les terribles émeutes de Detroit. Des dizaines de milliers de jeunes noirs envahirent alors les rues de la ville dans une ambiance de terreur et de révolution.
La ville symbole de l’industrie automobile connaît alors un relatif déclin. De 1947 à 1963, elle a perdu 13 4000 emplois industriels. En 1966, 20 000 habitants, surtout des Blancs de la classe moyenne, déménagent. Les quartiers populaires où s’entasse une population noire en surnombre, sont sinistrés, malgré les programmes sociaux du maire Jerome Cavanagh.


Policier face à des émeutiers.

C'est avant tout le comportement de la police locale, connue pour son racisme et sa brutalité qui met le feu aux poudres. Dans la nuit du 22 juillet 1967, les policiers arrêtent un groupe de consommateurs noirs dans une boîte de nuit. Le voisinage s’attroupe et les gens révoltés par l’attitude des policiers s’attaquent aux commerces à proximité.

C'est le début de six jours d’émeutes et de pillages auxquels participent plusieurs dizaines de milliers de jeunes chômeurs noirs. Romney, le gouverneur du Michigan, qui survole la ville en hélicoptère, constate que Detroit ressemble alors à une ville après un bombardement. Le 24, il fait appel à 12 700 militaires, policiers et gardes fédéraux pour mâter l’insurrection. Au bout du compte, 43 personnes sont tuées, 467 blessées, plus de 7 200 arrêtées ; 1 700 commerces sont pillés et 2 000 bâtiments incendiés.



Nicole Bacharan revient sur l'engrenage qui conduit à ces émeutes: "Chacun de ces tragiques événements, aussi anarchiques, aussi imprévisibles et incontrôlables qu'ils paraissent, suivait un schéma presque identique: une période d'extrême chaleur, à laquelle les habitants du ghetto, privés de piscines publiques (...), ne trouvaient aucun soulagement; un incident avec des policiers blancs, dont les habitants ressentaient la présence musclée comme une occupation étrangère; très vite une foule se rassemblait, lançait des cocktails molotov et autres projectiles, et en quelques heures, le ghetto était à feu et à sang."

Après le drame de Detroit, le président Lyndon Johnson chargea le gouverneur de l'Illinois d'étudier les origines de l'explosion. Le rapport de la commision rendu en février 1968 dénonçait la pauvreté, les taudis, le chômage et les écoles ségréguées. "Notre nation évolue vers deux sociétés, une noire et une blanche - séparées et inégales." La commission proposait donc de mettre en place un vaste et coûteux programme d'action fédérale en faveur des Noirs. Cette proposition restera bien sûr lettre morte. L'enlisement au Vietnam et le coût exorbitant de la guerre rendaient impossible (en l'absence de volonté politique ou d'une remise en cause de celle de l'heure ) le financement de programmes sociaux dignes de ce nom.


* Le White Panther Party.

Ces émeutes ne laissent pas indifférents certains jeune blancs: « Ce n’est pas une émeute raciale. Les gens en ont juste marre d’être harcelés par la police et arnaqués par les profiteurs. C’était la journée Robin des bois dans ce bon vieux Detroit, la première journée tout-est-gratis de l’année », affirme John Sinclair. Cet activiste est une des figures majeures de la contre-culture à Detroit. Il fonde par exemple le White Panther Party, en référence au Black Panther Party dont il adapte le programme en dix points.



Il prend aussi en charge le MC5, un garage band au son puissant et crade, usant et abusant des distorsions et feedback. Les concerts du groupe sont souvent fréquemment émaillés d'incidents (ils brûlent le drapeau américain sur scène, se font interrompre par les forces de l'ordre pour injures...). Lors de la convention démocrate qui se tient à Chicago, en 1968, ils jouent dans le Lincoln Park et multiplient les provocations. Désormais, les autorités les suivent de très près les contraignant à déménager à 70 km de Detroit, à Ann Arbor. Le groupe se sépare de Sinclair en 1969. Ce dernier est condamné à 9 ans et demi de prison pour possession de marijuana. Son White Panther Party est victime d'une sévère répression, après la destruction du siège de la CIA, à Ann Arbor. Le groupuscule révolutionnaire est dissous en 1971.



Mais revenons au MC5. Le slogan du groupe « Dope, Rock’n’roll & Fuckin’ in the streets » résume assez bien leur état d'esprit. Yves Delmas et Charles Gancel (cf. sources) reviennent sur l'importance de la formation: "(...) le groupe a marqué l'histoire du rock à plusieurs titres. D'une part, à travers l'expression d'un message "émeutier" qui constituait un vrai changement de son dans la protestation musicale de l'époque. D'autre part, en raison d'un son, d'une attitude et d'un goût pour la mascarade qui font des MC5 (...) les incontestatbles précurseurs du rock new-yorkais des années 1970 (Patti Smith, Ramones...) ou du mouvement punk britannique (Sex Pistols, Damned, Clash...) qui reconnaîtra volontiers l'héritage des durs de Detroit."

En solidarité avec la population noire de Detroit, ils adaptent le morceau de John Lee Hooker « The Motor City is Burning » largement inspiré par les émeutes raciales de 1943.


* Petite parenthèse sur les émeutes de 1943:


[Avec la crise de 1929 - associée à l’accroissement grandissant de la mécanisation dans les champs de coton -, des milliers de familles noires quittent le sud pour tenter leurs chances dans les grandes métropoles industrieuses du Nord, notamment Chicago et Detroit.

Dans cette ville, les chaînes de montage à la chaîne d’Henry Ford emploient ainsi un grand nombre des migrants afro-américain. Bientôt le Blues devient urbain et, la « modernisation » se poursuivant, bientôt la guitare - notamment celle de John Lee Hooker qui a migré à Detroit en 1943 - devient électrique.
La communauté noire de Detroit connaît alors un essor important. Les rapports n’en sont pas moins tendus dans les ateliers et les chaînes de montage, surtout avec le prolétariat blanc issu lui aussi de l’immigration sudiste. Exacerbés par les années de dépression, les antagonismes débouchent, à l’été 1943, sur les premières émeutes meurtrières que connaîtra la ville. Le bluesman John Lee Hooker, lui-même installé à Detroit, parvient à échapper aux dures conditions de travail des usines Ford grâce à ses dons de guitariste. Il devient bientôt un des bluesmen les plus populaires. ]

* "
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi."


Dans leur version du morceau, le MC5 incite ouvertement à la révolte et invite même les auditeurs à participer aux émeutes.



En guise de conclusion, rappelons que le climat pré-révolutionnaire qui s'empare des Etats-Unis en cette fin des années soixante sera savamment instrumentalisé par le candidat républicain à la présidentielle de 1968, Richard Nixon. Ce dernier entend représenter « une autre voix, une voix tranquille dans le tumulte des cris. C’est la voix de la grande majorité des Américains, les Américains oubliés, ceux qui ne crient pas, ceux qui ne manifestent pas. Ils ne sont ni racistes ni malades. Ils ne sont pas coupables des fléaux qui infestent notre pays. »

"Motor city is burning" MC5

Ya know, the Motor City is burning babe,
there ain't a thing in the world that they can do.
Ya know, the Motor City is burning, people,
there ain't a thing that white society can do.
Ma home town burning down to the ground,
worser than Vietnam.

Let me tell you how it started now ...
it started on 12th and Clairmount that morning.
Ah said, it started on 12th and Clairmount that morning,
It made the pigs in the street freak out.
The fire wagons kept comin', baby,
but the Black Panther snipers wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out.


Well, there were fire bombs bursting all around, people,
Ya know there were soldiers standing everywhere.
I said there was fire bombs bursting all around me, baby,
Ya know there was National Guard everywhere.
Ah can hear my people screaming.
Sirens fill the air, fill the air, fill the air.

Your mama papa don't know what the trouble is
you see, they don't know what it's all about.
Ah said, your mama papa don't know what the trouble is, baby,
they just can't see what it's all about.
Read the news, read the newspapers, baby?
You just get out there in the street and check it out!

Ah said, the Motor City is burning, people,
I ain't hanging round to fight it out.
Ah said, the Motor City is burning, people,
just not hang around to fight it out.
Well, I'm taking my wife and my people and ???
Well, just before I go, baby, ???? ,
firemans on the street, people all around,
Now, I guess it's true,
I'd just like to strike a match for freedom myself,
I may be a white boy, but I can be bad, too.
Yes, it's true now, yes, it's true now.

____________________
Détroit est en train de cramer, baby,
et rien de peut l'empêcher, les mecs,
Détroit est en train de cramer
et la société blanche ne peut l'éviter.
Ma ville est en train de brûler totalement
et c'est encore pire qu'au Vietnam

Laissez-moi vous dire comment ça a commencé...
cela a débuté au coin de la 12ème et de la rue Clairmont ce matin là.
C'était la panique chez les flics,
les voitures de pompiers continuaient d'arriver
mais les snipers des Black Panthers ne les laissaient pas éteindre les incendies.
Il y avait des bombes incendiaires éclatant un peu partout,
il y avait des soldats partout
il y avait des bombes incendiaires éclatant tout autour de moi,
il y avait la garde nationale partout.
J'entendais la population criait.
Les sirènes hurlait dans l'air (3X)

Ton père et ta mère ne comprennent pas l'origine du problème.
Ils ne saisissent pas ce qui se passe.
Ton père et ta mère n'y comprennent rien, baby,
ils ne peuvent pas voir ce qui se passe
Lis les nouvelles, lis les journaux, baby?
Tu as juste à sortir dans la rue pour les vérifier.

Détroit est en flamme
Je ne vais rien faire pour éteindre l'incendie (2X)
et bien, je pars avec ma femme, la populace et ???
Eh bien, juste avant de partir baby???
les pompiers dans la rue, des gens tout autour,
maintenant, je devine que c'est vrai,
je voudrais juste craquer une allumette pour les libertés
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi.
oui, c'est devenu réalité, c'est devenu réalité.

Sources:
-
Article publié dans CQFD n° 47, juillet 2007.
- Nicole Bacharan: "Les Noirs américains. Des chaps de coton à la Maison Blanche"Panama, 2008, p295-298.

- Yves Delmas et Charles Gancel: "Protest song, Textuel, 2005, Paris, pp248-254.

En bonus, une autre chanson consacrée aux émeutes de Detroit "Black day in July" par Gordon Lightfoot.




Liens:
* Sur Samarra: Detroit, c'est aussi la Motown (contraction de Motor City Sound), nous y revenons dans une série en trois volets:
- La Motown fête ses 50 ans.
- L'usine à tubes: les clefs du succès.
- Connaissez-vous bien la Motown (playlist et quizz)?

* "Détroit = Motor City".
* Le "White Panther Party. MC5 et le politique."
* Le destin musical et social de Detroit (pdf p3).

2 commentaires:

E.AUGRIS a dit…

Superbe chanson... et superbe article !
Par contre, la Motor City y a effectivement perdu de sa superbe...

Tu vas me trouver tatillon, mais pourquoi charge-t-on le gouverneur de l'Illinois d'une enquête et pas celui du Michigan ? Par souci d'objectivité ?

En tout cas merci, j'ai appris plein de choses.
E.A.

blottière a dit…

Merci.

Au sujet du gouverneur de l'Illinois, Otto Kerner, je dois dire que je n'en sais fichtrement rien. Je vais tâcher de creuser tout ça.

A+

J.B.