vendredi 30 mai 2008

44. Renaud:"Hexagone."

Pochette de l'album "Amoureux de Paname" (1975).
Avec ce titre rageur, Renaud se lance dans une dénonciation en règle de tout ce qu'il exècre. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que tout le monde en prend pour son grade. Dans la veine anarchiste et libertaire de ses débuts, le chanteur propose sa version de l'histoire de France dont il énumère les épisodes les plus sombres.
Mois après mois, Renaud tourne les pages de son calendrier: 
- En janvier, il dénonce le conservatisme ambiant.
- Février lui permet d'évoquer l'assassinat par la police de 9 personnes qui manifestaient, le 8 février 1962, "pour la paix en Algérie et contre l'OAS", au métro Charonne.
- En mars, il pourfend l'attitude de la France qui continue de guillotiner. Il faudra en effet attendre 1981, avec l'élection de François Mitterrand, pour que la peine de mort soit enfin abolie. En ce domaine, l'Espagne, qui vient pourtant tout juste de sortir de la dictature, la précède de trois ans...
- Avril lui donne l'occasion de se moquer des expressions éculées ("en avril, ne te découvre pas d'un fil").
- Le mois de mai s'avère particulièrement chargé puisque Renaud revient à la fois sur la "Semaine sanglante" (du 22 au 28 mai 1871), qui met un terme à l'expérience révolutionnaire de la Commune de Paris; mais aussi sur les manifestations étudiantes de mai 1968 et le triomphe électoral final des gaullistes à la fin du mois de juin. Le général est parvenu à convaincre le plus grand nombre de voter pour "l'ordre et la sécurité"
- En juin, en rupture avec l'exaltation de la résistance française, Renaud rappelle que les Français apportèrent dans l'ensemble un soutien solide au maréchal Pétain, jusqu'à la Libération du territoire. D'autre part, il assimile l'exil londonien de nombreux résistants à une forme de dérobade. Seule la résistance intérieure, incarnée ici par Jean Moulin, trouve grâce à ses yeux.
- La commémoration de la fête nationale et les feux d'artifice qui accompagnent le 14 juillet permettent à Renaud d'affirmer que la Révolution française est restée inaboutie, une révolution au seul bénéfice de la bourgeoisie en quelque sorte.
- En août, le bon peuple de France oublie ses soucis et son aliénation en partant en vacances.
- Renaud revient ensuite sur le coup d'Etat de Pinochet le 11 septembre 1973 au Chili. Appuyé en sous main par la CIA, Pinochet renverse le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende (qui se suicide dans son palais présidentiel).
- En octobre, le chanteur s'en prend aux fleurons de la gastronomie française, le vin et le fromage.
- En novembre et décembre, Renaud dénonce l'apathie, le conformisme étriqué dans lequel de nombreux Français se confinent. " la bagnole, la télé, l'tiercé, c'est l'opium du peuple de France".



Cette chanson de Renaud sort sur l'album "Amoureux de Paname", en 1975. Le titre remporte aussitôt un grand succès, malgré la censure imposée alors sur les ondes de France Inter. L'originalité des paroles, leur irrévérence expliquent sans aucun doute le statut culte de cette chanson.

Hexagone (Renaud Séchan).

Ils s'embrassent au mois de Janvier,
car une nouvelle année commence,
mais depuis des éternités
l'a pas tell'ment changé la France.
Passent les jours et les semaines,
y a qu'le décor qui évolue,
la mentalité est la même :
tous des tocards, tous des faux culs.

Ils sont pas lourds, en février,
à se souvenir de Charonne,
des matraqueurs assermentés
qui fignolèrent leur besogne,
la France est un pays de flics,
à tous les coins d'rue y'en a 100,
pour faire règner l'ordre public
ils assassinent impunément.

Quand on exécute au mois d'mars,
de l'autr' côté des Pyrénées,
un arnachiste du Pays basque,
pour lui apprendre à s'révolter,
ils crient, ils pleurent et ils s'indignent
de cette immonde mise à mort,
mais ils oublient qu'la guillotine
chez nous aussi fonctionne encore.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est pas c'qu'on fait d'mieux en c'moment,
et le roi des cons, sur son trône,
j'parierai pas qu'il est all'mand.

On leur a dit, au mois d'avril,
à la télé, dans les journaux,
de pas se découvrir d'un fil,
que l'printemps c'était pour bientôt,
les vieux principes du seizième siècle,
et les vieilles traditions débiles,
ils les appliquent tous à la lettre,
y m'font pitié ces imbéciles.

Ils se souviennent, au mois de mai,
d'un sang qui coula rouge et noir,
d'une révolution manquée
qui faillit renverser l'Histoire,
j'me souviens surtout d'ces moutons,
effrayés par la Liberté,
s'en allant voter par millions
pour l'ordre et la sécurité.

Ils commémorent au mois de juin
un débarquement d'Normandie,
ils pensent au brave soldat ricain
qu'est v'nu se faire tuer loin d'chez lui,
ils oublient qu'à l'abri des bombes,
les Français criaient "Vive Pétain",
qu'ils étaient bien planqués à Londres,
qu'y avait pas beaucoup d'Jean Moulin.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est pas la gloire, en vérité,
et le roi des cons, sur son trône,
me dites pas qu'il est portugais.

Ils font la fête au mois d'juillet,
en souv'nir d'une révolution,
qui n'a jamais éliminé
la misère et l'exploitation,
ils s'abreuvent de bals populaires,
d'feux d'artifice et de flonflons,
ils pensent oublier dans la bière
qu'ils sont gourvernés comme des pions.

Au mois d'août c'est la liberté,
après une longue année d'usine,
ils crient : "Vive les congés payés",
ils oublient un peu la machine,
en Espagne, en Grèce ou en France,
ils vont polluer toutes les plages,
et par leur unique présence,
abîmer tous les paysages.

Lorsqu'en septembre on assassine,
un peuple et une liberté,
au cœur de l'Amérique latine,
ils sont pas nombreux à gueuler,
un ambassadeur se ramène,
bras ouverts il est accueilli,
le fascisme c'est la gangrène
à Santiago comme à Paris.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
c'est vraiment pas une sinécure,
et le roi des cons, sur son trône,
il est français, ça j'en suis sûr.

Finies les vendanges en octobre,
le raisin fermente en tonneaux,
ils sont très fiers de leurs vignobles,
leurs "Côtes-du-Rhône" et leurs "Bordeaux",
ils exportent le sang de la terre
un peu partout à l'étranger,
leur pinard et leur camenbert
c'est leur seule gloire à ces tarrés.

En Novembre, au salon d'l'auto,
ils vont admirer par milliers
l'dernier modèle de chez Peugeot,
qu'ils pourront jamais se payer,
la bagnole, la télé, l'tiercé,
c'est l'opium du peuple de France,
lui supprimer c'est le tuer,
c'est une drogue à accoutumance.

En décembre c'est l'apothéose,
la grande bouffe et les p'tits cadeaux,
ils sont toujours aussi moroses,
mais y a d'la joie dans les ghettos,
la Terre peut s'arrêter d'tourner,
ils rat'ront pas leur réveillon;
moi j'voudrais tous les voir crever,
étouffés de dinde aux marrons.

Etre né sous l'signe de l'hexagone,
on peut pas dire qu'ça soit bandant
si l'roi des cons perdait son trône,
y aurait 50 millions de prétendants.

3 commentaires:

Jerry OX a dit…

Une chanson devenue incontournable avec le temps et ..qui n'a pas pris une seule ride ! bravo pour l'explication de texte !!!

Avez vous écrit d'autres articles sur les disques suivant ? son deuxième avec son premier tube en 1978 "laisse béton" .

Sa consécration en 1984 avec "dès que le vent soufflera" et "en cloque" .Sa résurréction en 2002 après un passage à vide entre 1996 et 2001 ...je vous découvre et vous salue !

blottière a dit…

Merci pour ce commentaire. Pour l'instant, il n'y a pas d'autres articles consacrés à Renaud sur le blog, mais cela ne saurait tarder tant son répertoire est riche et intéressant (des articles à venir sur "Tonton", "Triviale poursuite"...).

J.B.

Unknown a dit…

bravo renaud tu as eu des couilles de sortir cette chanson en 75